Objectif : Mettre en place un plan ambitieux d’accompagnement pour installer une nouvelle génération d’agriculteur.rice.s et assurer la transmission des terres et fermes vers des projets ADN.
1. Identifier les fermes à remettre et accompagner les agriculteur.rice.s âgé.e.s de + de 55 ans afin d’anticiper et de favoriser la transmission des terres et/ou des fermes à de jeunes repreneurs, porteurs d’un projet ADN, encouragée par le versement d’une prime en cas d’une telle cession (R, UE)
Sur la base des données officielles (Statbel2020, Assises de la Terre Région wallonne 2022), seules 12 % des fermes sont dans les mains d’agriculteur.rice.s de moins de 40 ans (les moins de 30 ans ne représentant que 2 % de cette catégorie !), 57 % ont entre 40-65 ans et 18 % plus de 65 ans. Selon L’État de l’agriculture wallonne 2020, les exploitants âgés de plus de 50 ans représentaient déjà 68 % de la profession en 2019, détenant 53 % de la surface agricole wallonne. Seulement 22 % d’entre eux annonçaient avoir un successeur.
La situation est donc alarmante. Avec plus de 70 % de nos agriculteur.rice.s allant prochainement quitter la profession, laissant la moitié des terres disponibles, nous sommes à un moment historique. Soit une action forte voit le jour pour favoriser la reprise d’un maximum de ces petites et moyennes fermes par des agriculteur.rice.s ADN (ce qui suppose que cette action soit accompagnée d’incitants et d’outils de régulation – voir les Priorités II à V), soit ces fermes seront acquises par l’agro-industrie et les sociétés multinationales, engendrant accaparement, concentration foncière et disparition des agriculteur.rice.s indépendant.e.s.
Il y a par conséquent urgence à intervenir : un accompagnement systématique de l’ensemble des agriculteur.rice.s sans repreneur assuré s’impose, afin d’étudier les situations individuelles et anticiper suffisamment tôt la fin d’activité, de manière à construire la transmission d’un maximum de fermes et/ou des terres en faveur de jeunes repreneurs et de projets ADN. L’obligation d’accompagner et de rechercher un repreneur doit devenir la règle. Revenir dans certains cas à des parcelles plus petites permettrait de rendre davantage de terres accessibles à l’installation, mais aussi de freiner l’érosion des sols.
Cet accompagnement nécessite la création d’un service approprié disposant d’antennes décentralisées, à intégrer dès que possible à l’organisme de gouvernance (→ proposition 15).
En l’absence de reprise intrafamiliale, une des causes de la perte de l’usage agricole des terres est la recherche de gains supérieurs dans le chef d’agriculteur.rice.s, pour compenser leurs faibles retraites. Pour éviter cet écueil, la prise en compte de la situation sociale des agriculteur.rice.s doit être une priorité. Une prime significative pourrait être versée au cédant, en cas de reprise par un jeune pour des projets ADN, contribuant de la sorte à valoriser la transmission tout en menant notre agriculture dans la bonne direction. La transmission extra-familiale en faveur d’un projet ADN devrait bénéficier des mêmes incitants fiscaux que la reprise intrafamiliale.
2. Fixer un objectif chiffré ambitieux d’installation de nouvelles fermes ADN et mettre en place le soutien nécessaire (formation, accès à l’information et au foncier, accompagnement personnalisé durant les premières années d’activité) afin d’atteindre cet objectif (R, UE, FWB, C) .
L’enjeu est de taille, puisqu’à peine 2 % des agriculteur.rice.s actuel.le.s ayant moins de 30 ans, la relève n’est plus du tout assurée. Ce constat rend d’autant plus inadmissible que les agriculteur.rice.s désireux.ses de s’installer rencontrent d’immenses difficultés, en premier lieu, d’accès à la terre. Les reprises intrafamiliales ne cessant de diminuer, l’agriculture de demain reposera pourtant pour l’essentiel sur des personnes n’étant pas issues du monde agricole, n’ayant ni le foncier, ni l’expérience pratique d’enfants d’agriculteurs.
Si nous ne souhaitons pas que notre agriculture soit entièrement automatisée et déshumanisée, aux mains de groupes agro-industriels et de grands propriétaires fonciers détenant la majorité des terres wallonnes, nous devons agir vite et lancer un plan ambitieux d’installations !
Les personnes prêtes à se lancer dans l’activité agricole sont chez nous globalement délaissées : absence d’accompagnement public (ou de services mandatés à cet effet), sentiment d’être livré à soi-même pour débusquer des terres dans un climat ambiant de méfiance et de rivalités (vu l’opacité autorisée du marché), financer l’achat de terres (vu l’absence de régulation des prix), obtenir un bail à ferme (vu l’absence de canaux d’information, le faible nombre d’offres et la réticence de propriétaires à s’engager dans un bail à ferme) et, enfin, pour parvenir à se loger à un coût modéré sur ou à proximité de la ferme.
Or sans agriculteur.rice.s pour reprendre le flambeau, en mesure de vivre décemment de leur activité, de l’exercer dans des conditions humaines, sociales et économiques épanouissantes, en étant reconnus socialement, la reprise ne sera pas assurée. Notre société devrait leur dérouler le tapis rouge !
Une politique d’installation prenant à bras-le-corps la question de l’accès au foncier est à mettre en place d’urgence. Celle-ci doit reposer sur une vision large, intégrée, axée sur la relocalisation de notre système alimentaire et des pratiques durables. L’organisme de gouvernance (→ proposition 15) en sera le moteur.
L’objectif d’installation doit être chiffré et ses résultats mesurés. Il est clair. La Région wallonne ne compte plus que 12.500 fermes d’une superficie moyenne de 60 hectares. Ce nombre et cette superficie moyenne doivent être maintenus (objectif minimal). Vu que près de 70 % des exploitants vont arrêter leur activité endéans les dix ans, 8.000 nouvelles fermes (8.750 exactement) devraient être créées durant les dix prochaines années, soit 800 fermes par an. Un calcul similaire peut être établi pour atteindre l’objectif que s’est fixé la Région de 30 % de fermes en agriculture biologique d’ici 2030. Celles-ci étant actuellement de l’ordre de 10 %, il nous faudrait passer de 1.200 à 4000 unités sur la période 2024-2030, soit 2.800 fermes bio en six ans ou encore 466 nouvelles fermes bio par an.
Cela suppose que les formations agricoles (enseignement) soient fondamentalement repensées afin de répondre aux enjeux sociétaux et environnementaux qui sont les nôtres et susciter un plus grand nombre de vocations tournées vers les projetsADN. Ces formations doivent être suffisamment axées sur la pratique (par exemple sous forme de contrat d’apprentissage ou de compagnonnage au sein de fermes, en s’inspirant des formations existant en France) et une conscience écologique forte. Elles doivent préparer au métier d’agriculteur.rice, non pas former des cadres techniques ou commerciaux extérieurs aux fermes !
Un accompagnement individualisé est indispensable, pour définir le projet d’installation, trouver le foncier adapté (en prenant aussi en compte le logement), faciliter l’intermédiation avec les propriétaires (vendeurs non agriculteurs et agriculteurs sortants), offrir un service d’appui aidant aux démarches administratives.
L’installation foncière doit nécessairement pouvoir se reposer sur une régulation du marché acquisitif (Priorité IV) et notamment un droit de préférence et une maîtrise des prix. Les terres publiques constituent également un élément déterminant de cette stratégie : elles doivent servir à l’installation (Priorité V).
L’accès à l’information est un droit et une priorité : tout est à mettre en place à cet égard ! Il n’existe en effet chez nous aucune centralisation ni diffusion des offres d’associations, de reprises, ou de terres et fermes à louer/vendre orientée vers le public-cible (les agriculteur.rice.s en quête de terres). Comparativement, en France, plusieurs sites publient ces annonces en lien avec les chambres agricoles et les Safer. Ici, le candidat à l’installation est laissé dans le maquis ! Un service géré par les pouvoirs publics ou délégué à cet effet, recevant les annonces et veillant à leur diffusion doit être mis en place et devenir la référence. Le maillage des informations est à construire avec les partenaires locaux (communes, citoyens, associations). L’instauration de l’obligation de notifier les intentions de vente des terres accélérera cette dynamique, notamment en prévoyant ensuite une priorité d’acquisition pour le public-cible (→ propositions 18 et 19).
L’accompagnement doit être maintenu durant les premières années d’installation, les plus ardues. Non pour contrôler mais pour épauler et faciliter. Les structures d’entraide, de parrainage et de mises en commun de matériel agricole doivent également être soutenues et développées (→ proposition 3).
Garantir un revenu décent à nos agriculteur.rice.s faisant (ou voulant faire) le choix d’une agriculture saine et durable – de ce fait plus exigeante et moins rentable – est également un point d’attention prioritaire.
3. Développer les formes juridiques facilitant l’association et la coopération en agriculture, en partant de modèles étrangers inspirants, d’une enquête des besoins exprimés par la nouvelle génération d’agriculteur.rice.s ainsi que des spécificités de l’ADN (F, R)
L’agriculture est de moins en moins une affaire de famille, mais sa taille humaine et son autonomie sont essentielles. Les associations entre personnes non apparentées ainsi que les fermes collectives sont appelées à se développer, fournissant des réponses innovantes et encourageantes à la crise des vocations, à la difficulté et l’épuisement de l’entreprenariat individuel, ainsi qu’à la disparition des fermes traditionnelles. La propriété privée de la terre et l’exploitation libérale se voient aussi remises en question.
Des structures facilitant le regroupement agricole devraient être développées. Des formules comme le groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), la coopérative d’utilisation de matériels agricoles (CUMA) ou le Groupement foncier agricole (permettant de faciliter la transmission au sein d’une structure commune), populaires en France, devraient être étudiées et mises en place par le droit des sociétés.
L’accès aux terres publiques devrait prioritairement servir des associations d’agriculteur.rice.s (→ proposition 23), notamment sous forme de community land trust (→ proposition 27).
L’achat collectif de terres par des groupements d’agriculteur.rice.s s’inscrivant dans des pratiques ADN est une autre piste féconde actuellement expérimentée en Ecosse (→ proposition 28).
A l’image des maisons médicales, la création d’organismes de gestion collective venant en appui des associations d’agriculteur.rice.s leur permettaient de libérer leur temps de tâches administratives fastidieuses demandant une grande technicité. Ce service pourrait être assumé par du personnel mis à disposition de plusieurs associations agricoles dans le cadre d’une mise en commun socialement encouragée.
4. Adapter la Politique agricole commune (PAC) pour soutenir de manière forte l’accès au foncier, l’installation de petites et moyennes fermes et un modèle agricole durable (UE, R)
Depuis la réforme de 1992, les aides européennes sont essentiellement versées au prorata du nombre d’hectares. Plus la surface détenue est importante, plus les aides perçues sont élevées, sans considération de la situation des bénéficiaires. Ce mécanisme favorise l’agrandissement constant des exploitations et exclut les agriculteur.rice.s entrant.e.s et les petites fermes de la ressource foncière. Qui plus est, les grandes structures, qui concentrent l’essentiel des aides, pratiquent une agriculture largement coresponsable de la dégradation climatique et environnementale. Ce schéma doit donc impérativement être inversé !
Le Plan stratégique wallon pour la PAC 2023-2027 fait état de la difficulté d’accès au foncier comme frein important à l’installation sans toutefois proposer de mesures pour la surmonter. Le plan qui sera élaboré pour la prochaine PAC se doit de monter en puissance sur la question de l’accès à la terre. Il relève de la responsabilité directe des pouvoirs publics de résoudre les dysfonctionnements du marché lorsqu’ils conditionnent à ce point l’avenir. L’inverse constituerait une carence fautive, préjudiciable à l’ensemble de la société et aux générations futures. Nombre des propositions du présent mémorandum pourront l’en inspirer.
Les aides de la PAC, avec les marges de manœuvre dont disposent les régions pour leur affectation, doivent prioritairement servir au soutien et à l’installation des petites et moyennes fermes et privilégier l’ADN. L’accès au foncier des petites structures agricoles doit devenir un axe prioritaire de la PAC .
Le versement d’une prime aux cédant.e.s en cas de transmission permettant l’installation de projets ADN (non pour concourir à la concentration foncière de grands groupes) serait une mesure phare.
Il est généralement soutenu que la politique foncière relève des États membres et non du droit de l’Union. Or celle-ci affecte directement plusieurs compétences de l’Union, dont la politique agricole, l’environnement, la sécurité alimentaire, ainsi que l’exercice de libertés fondamentales sur lesquelles l’Union se fonde, dont le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Négliger les petites structures agricoles en n’assurant pas leur accès à la terre mène à une quasi privation de la ressource pour celles et ceux dont c’est l’outil de travail, et qui remplissent une fonction essentielle dans la société. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’à plusieurs reprises, les instances européennes (Commission, Parlement européen, Comité économique et social et Cour de justice de l’Union européenne) ont confirmé que la préservation de l’accès à la terre pour les communautés locales constitue un objectif de politique publique légitime permettant aux États membres de réguler le marché foncier en restreignant la libre circulation prévue par le marché intérieur.
Vu la détérioration de la situation dans la plupart des pays, l’Union européenne se doit faire un pas de plus et de s’emparer de cette question en imposant aux États membres de réguler leur marché foncier afin de garantir son accès aux agriculteur.rice.s, en vue de l’installation, du maintien et de la transmission des fermes ADN.
5. Mettre en œuvre une juste définition de l’agriculteur actif tenant tout particulièrement compte des agriculteur.rice.s non issu.e.s du monde agricole (NIMA) et de l’ADN (UE, R)
Trop de propriétaires non-agriculteurs ou retraités, ainsi que les sociétés de gestion, perçoivent des aides de la PAC au détriment de celles et ceux qui devraient en être les seuls bénéficiaires légitimes, à savoir les agriculteurs actifs, pour lesquels ces aides sont réellement indispensables et qui concourent à une agriculture socialement durable. Ce manque de ciblage, de même que la non-exigence qu’il y ait production agricole pour plusieurs aides, conduisent à ce que des terres soient accaparées et/ou (sous-)louées, au seul motif qu’elles génèrent une rente. Cet effet de rente renforce la difficulté d’accès au foncier des agriculteurs actifs et aggrave le manque de terres disponibles.
Dans l’objectif de rendre la PAC 2023-2027 plus équitable, l’Union européenne a invité chaque État membre à définir légalement l’agriculteur actif. La Région wallonne a retenu deux critères : l’inscription à la banque-carrefour des entreprises et la qualification ou l’expérience utile. En sus, une liste exclut un certain nombre d’activités, dont la gestion de biens pour autrui, ce qui vise enfin les sociétés de gestion. Cette définition est une avancée, mais elle est insuffisante. L’exigence d’être agriculteur actif n’entre en jeu que pour certaines aides : elle devrait les concerner toutes. L’inscription à la BCE n’est pas un critère attestant suffisamment d’une activité réelle. De même, l’agriculteur retraité ne devrait percevoir les aides que s’il poursuit effectivement son activité agricole à titre complémentaire. La définition proposée par le Conseil européen des jeunes agriculteurs inclut en outre un critère supplémentaire : l’agriculteur actif fournit des biens publics à la société (CJEA, « Access to land, are we losing the European plot ? », 2023). Nous souscrivons entièrement à cette vision qui met au centre la fonction nourricière et sociale de l’agriculture.
Le profil des agriculteur.rice.s entrants non issu.e.s du monde agricole (les « NIMA » ou encore nimaculteur.rice.s) doit être davantage pris en compte car ils sont les acteurs principaux du renouvellement agricole – et le seront encore plus demain. Concernant les aides à l’installation, le critère d’âge doit être revu afin de tenir compte des reconversions professionnelles et des parcours de vie diversifiés : des nimaculteur.rice.s peuvent débuter leur activité au-delà de 40 ans : ils doivent bien entendu également avoir droit aux aides à l’installation.
L’exigence de rentabilité dès les premières années, au risque de quoi les aides reçues peuvent devoir être remboursées (l’administration considérant qu’il n’y aurait pas eu activité professionnelle !) nécessite d’être assouplie. Elle ne répond pas à la situation sociale de bon nombre de jeunes agriculteur.rice.s et de petites fermes qui vivent de leur métier et nous nourrissent, en percevant des revenus parfois extrêmement modestes, tout en travaillant énormément. C’est le caractère effectif de l’activité (ventes réalisées, présence dans des circuits de commercialisation, magasins et marchés, etc.) qui doit être le critère, non l’importance du revenu.