Objectif : Administrer les terres publiques de manière exemplaire en garantissant leur préservation, leur vocation de bien commun et leur mise à disposition aux projets ADN
23. Créer un statut organique des terres publiques consacrant leur finalité en tant que bien commun, leur usage au service de la collectivité, la participation citoyenne, ainsi que leur affectation prioritaire à l’ADN, en ce compris en cas de vente par l’autorité publique (R)
Les terres publiques représentent 8 % de la surface agricole wallonne (soit 60.000 hectares sur une surface totale de 743.715 hectares déclarée à la PAC), tous propriétaires confondus (Région, communes et provinces, CPAS, fabriques d’églises, intercommunales,…). Il s’agit d’une surface significative, qui permettrait le développement d’une réelle politique publique agricole, servant le bien commun. Or, à ce jour, elles sont gérées sans réflexion commune, vision d’ensemble ni coordination. Elles sont généralement considérées comme un simple patrimoine immobilier plutôt que comme levier d’action pour soutenir une transition du système agricole et alimentaire.
Les multiples crises que nous traversons (géostratégique, climatique, environnementale, alimentaire,...) amènent une conscience accrue de la responsabilité des acteurs publics à l’égard du patrimoine agricole et du rôle que les terres publiques peuvent jouer. Néanmoins, la tentation est aussi présente dans le chef de certains de les vendre pour faire rentrer de l’argent dans les caisses, sans considération de leur valeur sociétale.
Les terres publiques doivent être gérées de manière exemplaire et qui fasse sens : il n’est plus défendable que celles-ci soient louées des agriculteur.rice.s ayant un nombre de terres largement suffisant, pour des productions ne servant pas la collectivité, qui s’avèrent problématiques pour l’environnement (par exemple les sapins de noël), polluantes, destinées à des marchés d’exportation (par exemple des pommes de terres pour l’exportation de frites surgelées) et réalisées dans de mauvaises conditions agroécologiques.
En leur qualité de bien commun, les terres publiques doivent servir l’intérêt général : leur vocation nourricière, locale et écologique est à affirmer et garantir. Au vu des difficultés d’accès au foncier de nos agriculteur.rice.s, ces terres doivent prioritairement accueillir l’installation de nouvelles fermes et l’ADN.
La réforme du bail à ferme intervenue en 2019 a conduit à un certain nombre d’améliorations dans les critères d’attribution des terres publiques. Au-delà, il s’impose de créer un véritable statut juridique des terres publiques qui déterminera les fonctions qu’elles remplissent dans la société, les procédures d’attributions, les usages, les formes de mise à disposition, le soin devant y être apporté. Les conditions d’admissibilité de leur vente (→ proposition 25) feront partie intégrante de ce statut.
La gestion des terres publiques requiert également de la transparence et une gouvernance participative, incluant tous les acteur.rice.s : agriculteur.rice.s, citoyen.ne.s, associations, structures locales, etc.
Dans l’attente d’un tel statut, et pour favoriser son ébauche avec les pouvoirs locaux, l’adoption d’une charte des terres publiques (vision, finalités, usages, gouvernance) pourrait constituer la première étape volontaire de ce processus, en association avec l’Union des Villes et des Communes de Wallonie /de Bruxelles, la Fédération des CPAS et les administrations régionales compétentes.
24. Mettre en œuvre la gestion coordonnée des terres publiques prévue par le Code wallon de l’agriculture et disposer d’un inventaire dynamique de l’ensemble de ces terres (R, C)
La gestion centralisée – ou coordonnée – des biens agricoles publics est inscrite dans le Code wallon de l’agriculture depuis 2014 (en son article D. 354) mais n’a jamais été mise en œuvre. Le ministre en charge de l’agriculture vient d’annoncer en juin 2023 qu’elle le serait bientôt, ce qui constituerait une bonne nouvelle.
Il est toutefois indispensable de ne pas agir à la « va-vite » et de mettre en place un dispositif qui permette d’atteindre effectivement des objectifs prioritaires liés enjeux susmentionnés : relocalisation alimentaire, installation de nouvelles fermes, durabilité des modes de production, intérêt collectif des projets.
Cette coordination implique donc une vision et un pilotage. Nous pensons que cette mission pourrait être confiée à l’organisme de gouvernance (→ proposition 15), qui aurait de la sorte une vue globale sur l’ensemble de la question foncière, en distinguant mais aussi en créant des ponts entre terres privées et terres publiques. Tant que cet organisme de gouvernance n’existe pas, il est difficile d’envisager une réelle gestion centralisée qui soit au service des objectifs fixés.
Les bonnes pratiques devront devenir la règle de cette gestion coordonnée. Pointons notamment l’établissement systématique de cahiers des charges, des procédures d’attributions transparentes, la publicité des annonces, la priorité donnée aux candidats ayant participé à un appel à manifestation d’intérêt (→ proposition 18).
Enfin, cette gestion coordonnée suppose l’établissement d’un cadastre complet des terres publiques réalisé avec l’assistance de la Région , tous propriétaires confondus (communes, CPAS, fabriques d’église, institutions - en ce compris les organismes publics et parapublics, ainsi que les pouvoirs publics localisés dans une autre région mais ayant des terres en Région wallonne, songeons aux communes et CPAS bruxellois ou flamands ayant des biens ruraux en Wallonie). Ce cadastre inclura les formes de mise à disposition et l’usage actuel de chaque lot de terres. Cela permettra une réelle photographie de la situation et constituera la base d’une politique de gestion dynamique et « monitorée » des terres publiques dans le but d’atteindre les objectifs fixés.
Néanmoins, il convient d’être très vigilant. Tant que les objectifs et les modalités de la gestion coordonnée des terres publiques ne sont pas fixés et monitorés, le cadastre est un outil extrêmement sensible, qu’il serait dangereux de publier, car il risque d’attirer les convoitises en vue de tous les usages autres qu’alimentaires sur les terres agricoles, malheureusement souvent plus lucratifs (cultures énergétiques, chevaux de loisir, changements d’affectation, projets d’urbanisation, etc.), comme dénoncé plus haut (→ Priorité II). Le risque est donc grand de voir des investisseurs, une fois qu’ils disposeront de cette information, venir proposer aux propriétaires publics de racheter leurs terres à des prix attractifs. De la sorte, le patrimoine public serait davantage exposé et fragilisé, plutôt que d’être protégé. Le cadastre doit donc s’inscrire dans un cadre global de protection des terres publiques (→ proposition 25).
25. Conserver et accroître le nombre de terres publiques, en prohibant toute vente tant que des critères d’admissibilité de ces ventes n’ont pas été définis (R, C)
En tant que bien commun remplissant plusieurs fonctions indispensables, les terres publiques ne devraient jamais être vendues. Au contraire, elles devraient se multiplier et être particulièrement choyées. En cas de besoin de liquidités dans le chef de la puissance publique, la solution serait de conférer un droit d’emphytéose sur les terres agricoles, non de les vendre (→ proposition 27).
Une première exception autorisant la vente serait que l’acquéreur soit un autre propriétaire public. Un droit de préférence entre autorités publiques, pour l’acquisition de terres, est à instituer.
La seconde exception résiderait dans l’adoption de critères garantissant que l’intérêt général soit préservé en cas de vente. Il n’est en effet pas acceptable qu’un propriétaire public vende ses terres au plus offrant (contribuant de la sorte à la spéculation dénoncée par les autorités elles-mêmes), participe à la concentration foncière (si l’acquéreur est un grand propriétaire foncier ou que l’autorité s’abstient d’établir des lots distincts en cas de vente d’une superficie importante), ou ne veille pas à ce que la terre revienne à ceux qui en ont – et dont nous avons – besoin.
Par conséquent, en cas exceptionnel de vente – dont la nécessité devra être dûment justifiée – un cahier des charges établissant des servitudes environnementales et nourricières et déterminant les finalités d’usage des terres à céder doit garantir la poursuite de l’intérêt général, dont en premier lieu le maintien d’une agriculture à taille humaine, la préservation des sols, l’installation de nouvelles fermes, la vocation nourricière que poursuivra l’acquéreur (ou l’agriculteur auquel l’acquéreur s’engage à remettre la terre).
Les acquéreurs représentant un intérêt sociétal collectif (par exemple le secteur de l’économie sociale, les coopératives citoyennes, d’autres propriétaires publics) doivent être privilégiés.
A noter qu’un droit de réméré doit être instauré dans le cadre de ces ventes, afin de pouvoir récupérer les terres si les critères ne sont finalement pas respectés par l’acheteur.
Les ventes à prix fixe (sur la base de l’estimation de la valeur juste du bien tenant compte de son usage agricole) doivent être rendues obligatoires pour les terres publiques.
Tant que ces conditions ne sont pas remplies, un moratoire interdisant toute vente doit être décidé au plus vite par chaque conseil communal et par l’autorité régionale. Dans l’intervalle, une circulaire complétant la circulaire du 23 février 2016 (dite « Furlan ») relative aux opérations immobilières des pouvoirs locaux doit recommander l’adoption de tels critères, dans l’attente que ceux-ci soient coulés dans un texte à portée normative.
26. Respecter la nouvelle législation sur le bail à ferme en appliquant les critères légaux et optionnels permettant de favoriser l’installation et le développement de l’ADN (R, C)
La période transitoire prévue par la nouvelle législation wallonne sur le bail à ferme prendra fin en 2024. Cela signifie qu’à partir du 1er janvier 2025, tous les propriétaires publics devront appliquer les nouvelles dispositions et respecter les critères légaux d’exclusion et d’attribution définis par l’arrêté du Gouvernement wallon 20 juin 2019 fixant les modalités de mise sous bail à ferme des biens ruraux appartenant à des propriétaires publics.
Les critères d’exclusion sont les suivants : diplôme ou expérience suffisante ; superficie maximale déjà exploitée ; respect de toute législation (il faut notamment être en ordre de cotisations sociales et ne s’être vu dressé aucun procès-verbal d’infraction, par exemple environnementale). Les critères d’attribution obligatoires concernent notamment l’âge et la proximité de la ferme avec les terres mises en location. Un cahier des charges-type est proposé par l’administration.
L’arrêté prévoit également la possibilité pour les pouvoirs publics d’ajouter des critères d’attribution facultatifs, qui peuvent compter pour maximum 50 % des points, avec 20 points maximum par critère.
Vu les enjeux susmentionnés, il nous paraît indispensable que les propriétaires publics ajoutent des critères d’attribution permettant de favoriser l’attribution de terres pour l’ADN, voire que ces critères deviennent obligatoires, c’est-à-dire que les terres publiques reviennent prioritairement à l’ADN.
Les critères suivants devraient à notre sens impérativement être inclus dans les futurs cahiers des charges :
– la mise en œuvre de pratiques agroécologiques dont le contenu sera évalué par un jury, tenant compte l’approche agroécologique globale de l’exploitation et des pratiques proposées et/ou mises en œuvre (tels que l’agriculture biologique, les mesures agro-environnementales, l’agroforesterie, le non-labour, les rotations des cultures, etc.) ;
– la commercialisation en circuit-court et direct, le jury prenant en considération l’approche globale du circuit-court de l’exploitation et son environnement socio-économique, tenant compte notamment de la proximité de la clientèle visée, du pourcentage de commercialisation à la ferme – ou via une coopérative alimentaire –, des épiceries locales ou des cuisines centrales locales ;
– l’installation (afin de favoriser les candidat.e.s qui s’installent ou qui viennent récemment de s’installer) ;
– la superficie de la ferme (afin de favoriser les fermes disposant du plus faible nombre d’hectares).
D’autres critères pourront également entrer en lice en fonction du contexte particulier de la parcelle et/ou de la commune concernée : problématique d’érosion et/ou d’inondations, production alimentaire pour répondre aux besoins identifiés dans le cadre d’un diagnostic alimentaire global ou d’un projet porté par la commune (tel une cuisine centrale, un projet d’insertion socio-professionnelle…).
27. Envisager le droit d’emphytéose pour les terres publiques et favoriser les dynamiques de community land trust (R)
Un patrimoine commun ne se vend pas ! Si les pouvoirs publics ont besoin de liquidités, ceux-ci devraient privilégier la constitution d’un droit d’emphytéose sur des terres agricoles. Ce modèle juridique pourrait d’ailleurs constituer un véritable projet de soutien à l’ADN, dans la droite ligne de la philosophie des biens communs.
Le droit réel d’emphytéose comporte plusieurs aspects intéressants. Pour l’agriculteur.rice, il se rapproche d’un droit de propriété, pour autant que sa durée (légalement comprise entre 15 ans et 99 ans) soit suffisamment longue, ce qui serait ici un prérequis. L’emphytéose offre donc davantage de sécurité que le bail à ferme si elle dépasse une durée de 27 ans, car elle protège aussi d’un éventuel congé en cas de changement de propriétaire. S’agissant d’un droit réel et non personnel (comme un bail), l’emphytéose permet l’accès au crédit hypothécaire (la terre peut également constituer une sûreté bancaire). Enfin, le canon emphytéotique est réglable en un versement unique ou fractionné, ce qui facilite l’étalement des investissements, mesure particulièrement utile pour les agriculteur.rice.s, surtout en cours d’installation. Inversément, un canon conséquent en début d’emphytéose peut apporter la trésorerie généralement recherchée par le propriétaire public lorsqu’il souhaite vendre son patrimoine.
Dans l’intérêt de la collectivité, le droit d’emphytéose concédé sur les terres publiques sera grevé d’une servitude nourricière et environnementale (ce que le bail à ferme n’autorise pas) : celle-ci garantira que les terres soient utilisées dans le respect de l’environnement et leur biodiversité préservée. Enfin, à l’issue du droit ou de l’usage, la terre reviendra pleinement à la collectivité.
L’emphytéose pourra également constituer le fondement d’une dynamique de community land trust. Juridiquement, celle-ci repose précisément sur le principe d’une dissociation entre la propriété du fonds – appartenant à une structure désintéressée (il s’agira ici du pouvoir public) – et les droits d’usage et de jouissance conférés aux personnes bénéficiaires. Ce modèle trouve sa source aux Etats-Unis pour répondre aux difficultés d’accès à la terre pour les minorités, même si c’est ensuite surtout le secteur du logement qui l’a développé, afin de faciliter l’acquisition d’un logement, dans une perspective d’émancipation sociale et d’ouverture sur la communauté.
Le community land trust implique une gouvernance collective : cela signifie que les agriculteur.rice.s ou les groupes auxquels les terres sont confiées ne sont pas seuls mais intégrés à la communauté. Ce modèle se traduit par une gouvernance tripartite, réunissant les utilisateurs, la société civile/les habitant.e.s du quartier et les autorités publiques. Ainsi, les terres publiques confiées aux agriculteur.rice.s seront gérées dans l’intérêt collectif, en favorisant des processus participatifs et co-décisionnels.
28. Recréer davantage de communs, permettre la propriété communautaire (R)
A côté de l’agriculture professionnelle, il est essentiel que des espaces ruraux restent à la disposition de l’ensemble des habitant.e.s. Les mises à disposition de terres (jardins-potagers, vergers, bois,...) aux communautés locales pour un usage vivrier – soit un usage visant principalement à satisfaire ses besoins propres – constituent une tradition historique précieuse.
Les communs au sein de nos villes et campagnes sont à préserver et à développer. Tout le monde n’a en effet pas la possibilité de disposer d’un jardin ou d’un potager. Or l’autonomie alimentaire passe également par la possibilité de faire pousser ses légumes. Les potagers partagés, notamment, contribuent à la vie collective, à la préservation des savoirs, retissent les liens entre citoyens, permettent de reprendre conscience de la saisonnalité des cultures. Ils sont vecteurs d’inclusion sociale et constituent des espaces de sensibilisation à la question alimentaire, soit autant de dimensions participant pleinement à une transition agroécologique juste et sociale.
La tradition des communs s’écarte du bail à ferme (lequel suppose un exploitant agricole) et de la propriété individuelle : elle s’ancre dans la reconnaissance des droits d’usage sur un terrain non approprié. De ce fait, elle anticipe une orientation nouvelle plus générale de notre agriculture, entendue comme bien commun.
Il est tout à fait imaginable que ce droit d’usage s’exerce, non seulement sur des terres publiques, mais aussi sur des terres privées, qui seraient mises à disposition de la collectivité pour un temps déterminé. Ces mises à disposition devraient être encouragées (par exemple fiscalement), pour autant qu’elles soient pérennes.
Par ailleurs, des collectifs revendiquent des formes de pratique agricole visant à nourrir la communauté, mais sans activité professionnelle indépendante. Il s’agit de tiers-lieux. En matière d’urbanisme, il est essentiel que ces projets soient pleinement reconnus par l’administration et bénéficient de la possibilité d’établir les habitats sur la ferme – en tous cas des habitations légères – au même titre que les agriculteur.rice.s « classiques » en zone agricole.
Rendre possible l’achat communautaire de terres agricoles en vue d’assurer un développement durable et l’intérêt public est également une voie à soutenir.
Pour légiférer et concevoir un dispositif complet (tout en l’adaptant à notre réalité), la Région wallonne pourra directement s’inspirer de la législation écossaise (Land Reform Scotland Act 2016), qui a ouvert le droit à des groupements d’agriculteurs en situation de vulnérabilité foncière (les crofters) ainsi qu’à des communautés de se porter acquéreur de terres abandonnées, négligées ou dont la gestion nuit de manière directe ou indirecte au bien-être environnemental de la communauté. Pour autant que la communauté ait créé une structure juridique pour la gestion des terres et soit gouvernée démocratiquement (il pourrait donc s’agir d’une coopérative), celle-ci dispose du droit de manifester son intérêt à l’achat et d’un droit de préemption, pouvant aller jusqu’à forcer la vente dans certains cas.
La reconnaissance de cette nouvelle forme de communs s’appuie sur la possibilité pour les communautés de recourir à un fonds (le Scottish Land Fund) proposant un accompagnement technique et financier. C’est en pratique ce fonds qui rend possible l’achat de terres (puisque celles-ci seront en principe acquises au prix du marché). Le lien est donc patent avec notre proposition 22.