Réguler les ventes de terres

Mis à jour le 24 juillet 2023

Objectif : Maîtriser le marché pour développer l’ADN, lutter contre la spéculation et la concentration foncière et garder les terres aux mains des agriculteur.rice.s

18. Instaurer l’obligation de notification des intentions de transfert de terres agricoles sur un site spécialisé géré par l’organisme de gouvernance, en vue d’un droit d’acquisition prioritaire en faveur des jeunes agriculteur.rice.s, de l’ADN et des fermes en situation d’insécurité foncière (R)

Malgré l’importance de l’agriculture pour notre société et les difficultés d’accès au foncier auxquelles nos agriculteur.rice.s sont confrontés, les cessions de terres sont totalement non contrôlées dans notre pays. Elles sont régies par la seule loi du marché et caractérisées par la confidentialité (sous réserve des formalités d’enregistrement et de transcription, à des fins fiscales et d’opposabilité aux tiers). Seul le fermier est informé de la vente des terres qu’il occupe sous bail à ferme et bénéficie d’un droit de préemption – dans les deux mois et au prix de la vente, ce qui rend difficile voire impossible l’exercice de son droit.

Quiconque (investisseur, fonds de placement, société de gestion, entreprise, société étrangère, etc.) peut acheter une terre agricole au prix fixé entre parties, même s’il déséquilibre le marché local et quel que soit l’objectif poursuivi (un golf, un parc d’aventure, la plus grande surface agricole possible, etc). Bien que les Codes wallons de l’agriculture et de l’aménagement du territoire proclament que le sol et l’agriculture sont le patrimoine commun de la Wallonie et de ses habitant.e.s, il n’en est rien dans les faits. Ceux-ci sont régis par les seuls intérêts privés. L’État n’assure aucun rôle régulateur visant à garantir la préservation de l’intérêt général et des intérêts collectifs de la société sur ce dit patrimoine commun.

Dans les comparaisons des instruments mis en place par les États pour réguler leur marché foncier agricole (European Commission, Agriculture land market regulations in the EU Member States, 2021), la Belgique sauve la mise par sa législation sur le bail à ferme, protectrice de l’agriculteur locataire. Elle est par contre en queue de peloton – avec six autres pays – pour la protection de l’agriculteur.rice propriétaire (0 mesure), alors qu’une majorité d’États membres (15) disposent de mécanismes pour préserver l’accès à la terre des agriculteurs locaux, lutter contre la spéculation et la concentration foncière (via une surface maximale d’acquisition), prévoir un accès préférentiel à la terre pour certaines catégories d’agriculteur.rice.s, contrôler des prix excessifs et instituer différents droits de préemption afin de garantir l’effectivité de ces objectifs.

Les terres sont devenues inaccessibles pour la plupart des agriculteur.rice.s en Belgique : en 2016, elles étaient déjà les 2e plus chères d’Europe et aucune donnée n’a été communiquée par notre pays pour le classement Eurostat 2019. Le rapport de l’Observatoire du foncier agricole wallon 2022 atteste que les terres ne sont majoritairement plus acquises par des agriculteur.rice.s, encore moins si elles comportent du bâti ou ne sont pas situées en zone agricole.

La concentration et la disparité d’accès à la ressource sont de plus en plus patentes : la superficie moyenne d’une ferme est passée en Région wallonne de 20,7 hectares en 1980 à 57,6 hectares en 2019 (Statbel, Chiffres-clés de l’agriculture, 2022). En 2020, il n’y a plus que 33 % des fermes wallonnes qui exploitent une surface inférieure à 25 hectares, elles étaient 60 % en 1990. Les exploitations de plus de 100 hectares s’élèvent quant à elles à 16 % en 2020, alors qu’elles n’étaient que 2 % en 1990 (SPW, État de l’agriculture wallonne, 2020). Ces moyennes sont encore vouées à augmenter puisque les chefs d’exploitation des fermes de - 25 hectares ont une moyenne d’âge de 58 ans et sont pour 80 % sans repreneur (État de l’agriculture wallonne 2020).

Il s’ensuit que les fermes sont de moins en moins transmissibles de par leur taille et leur prix. Face à la position extrêmement vulnérable des agriculteur.rice.s entrants et des petites exploitations, l’opacité et l’absence de régulation ne sont plus tolérables. Elles constituent même une faute majeure.

L’enjeu n’est pas d’empêcher le marché mais bien d’empêcher que l’ADN en soit définitivement exclue, par défaut de régulation, ce qui est en passe d’advenir.
Afin de restaurer et garantir l’accès à la terre pour l’ADN, nous proposons un mécanisme, proportionné par rapport aux objectifs poursuivis et aux intérêts des parties, reposant sur quatre étapes (les deux premières font l’objet de la présente proposition, les deux suivantes, brièvement exposées ici, forment les propositions 19 et 20) :

1) l’obligation de notifier les intentions de cessions : tout propriétaire ayant le projet de céder un bien immobilier agricole (soit uniquement des terres, soit des terres et du bâti) devra commencer par notifier son intention de session sur une plateforme spécialement dédiée à cet effet, qui sera gérée par l’organisme de gouvernance (→ proposition 15), ou un autre service en attendant sa mise en place ;

2) la manifestation d’intérêt et la faculté d’acquisition prioritaire : la notification d’intention de cession permettra aux agriculteur.rice.s à prioriser d’être informés et de manifester leur intérêt. Ces agriculteur.rice.s disposeront alors d’un droit d’acquisition prioritaire qu’ils.elles pourront le cas échéant exercer avec l’appui d’un tiers. Ce droit sera réputé respecté en cas de transmission intrafamiliale ou d’installation et/ou transmission accompagnée (→ propositions 1 et 2). Voir ci-dessous pour ces deux premières étapes.

3) la validation par un organisme public des cessions des terres : tout acte de vente (et tout autre instrumentum attestant d’une cession d’un bien immobilier agricole, par exemple un transfert de parts sociales ou un échange) devra systématiquement être communiqué au service qui sera officiellement chargé de valider la légalité des mutations foncières agricoles. Cette validation pourra être refusée dans un nombre de cas précis (→ proposition 19).

4) le droit de préemption pour des finalités d’intérêt public : déjà prévu par le Code wallon de l’agriculture de manière très limitative (de ce fait non mis en œuvre), le droit de préemption sera activable par les autorités publiques dans les cas et pour les objectifs fixés par la loi. Il pourra s’exercer avec faculté de révision du prix à la baisse s’il apparaissait que la transaction réalisée porte atteinte à l’équilibre du marché et affecte la destination agricole des terres (→ proposition 20).

Etape 1 : l’obligation de notifier l’intention de cession

La déclaration d’intention d’aliéner existe par exemple en France. L’information des autorités publiques permet d’une part aux pouvoirs locaux d’être au courant d’un projet de vente (pouvant signaler à l’acquéreur les obligations ou restrictions d’usages qui s’imposeront), d’autre part d’exercer un droit de blocage ou d’achat prioritaire afin de réaliser les buts fixés par la loi d’orientation française et le schéma directeur régional des exploitations agricoles, qui sont notamment de soutenir l’installation des jeunes, de préserver une agriculture durable et locale, de lutter contre la spéculation foncière et l’accaparement, d’empêcher des acquisitions menaçant l’ordre public ou la sécurité alimentaire.

La notification d’intention de cession que nous proposons d’instaurer en Régions wallonne et bruxelloise interviendrait plus en amont, au stade d’un projet de vente (ou toute autre forme de transfert), sans qu’il y ait nécessairement déjà de candidat acquéreur identifié. Cela permettra de faciliter la rencontre entre les propriétaires et les agriculteur.rice.s concernés. En effet, tout comme les agriculteur.rice.s, les propriétaires d’un bien rural n’ont en réalité pas le moyen de savoir qui pourrait être intéressé par leur terre et pour quel type de projet (sauf si un fermier en est déjà locataire). Notre coopérative est quotidiennement contactée par des propriétaires désireux de mettre à disposition ou de céder une terre pour un projet ADN, sans identifier de candidat.e.

Cette mise en contact, en amont, entre propriétaires et agriculteur.rice.s est un élément-clé qui facilitera le programme d’accompagnement à l’installation et de transmission des fermes (→ propositions 1 et 2).

L’obligation de notifier les cessions de biens ruraux à l’administration existe déjà en Région wallonne, mais en aval de la vente : les actes de vente (ainsi que les baux à ferme) sont transmis à l’Observatoire du foncier agricole wallon à des fins d’étude du marché des prix. Il s’agit donc de dédoubler cette communication, cette fois en amont et avec un objectif concret : informer, susciter la rencontre et permettre aux agriculteur.rice.s en situation foncière précaire d’être prioritaires dans l’acquisition.
En pratique, les intentions de cession seront encodées dans une base de données en ligne, uniquement accessible au public-cible. Un délai de 3 mois à dater de la notification sera ouvert pour la manifestation d’intérêt (avec un système d’alerte dès que l’annonce paraît, en fonction des critères de recherche), suivie le cas échéant d’une offre d’acquisition.

La vente de biens agricoles par voie d’enchères notariales via internet (Biddit) ne doit plus être admise et ne sera d’ailleurs pas envisageable dans ce dispositif. Biddit aggrave la situation d’exclusion de l’ADN, les agriculteur.rice.s étant les moins à même d’entrer en compétition financière sur ce type de plate-forme. Par ce système, tout investisseur, quels que soient sa localisation dans le monde et l’intérêt qu’il poursuit peut participer et acquérir des terres. Le caractère informatique de la vente et la généralisation du mécanisme de l’enchère (comme s’il s’agissait de la bourse) renforcent le caractère spéculatif du marché foncier agricole et la dépersonnalisation des relations entre parties, alors qu’il s’agit de la transmission d’un bien commun.

Etape 2 – Le droit d’acquisition prioritaire

Le droit d’acquisition prioritaire – aussi nommé droit de préférence –, intervient avant qu’une transaction soit conclue, contrairement au droit de préemption qui suppose qu’un acquéreur soit préféré à un autre (alors que la vente initiale – un accord sur la chose et le prix – était déjà conclue). Ce mécanisme implique que le vendeur s’adresse en premier lieu aux titulaires désignés par la loi, en cas d’intention de céder une terre.

Les parties pourront alors entamer des discussions, notamment financières. Cette discussion pourra reposer sur une évaluation du prix (par exemple par le comité d’acquisition et les rapports de l’observatoire du foncier agricole) et être le cas échéant aidée par une structure agréée à cet effet (→ propositions 1 et 2).

Ce droit d’acquisition prioritaire doit permettre d’installer et de pérenniser des projets agricoles nourriciers, durables et locaux.

Ce droit sera activable par un nombre restreint de personnes (selon un ordre de priorité) :
a) les jeunes agriculteur.rice.s en quête d’installation ;
b) l’ADN ;
c) les agriculteur.rice.s installés dans le périmètre ne disposant pas d’une surface suffisante ;
d) les collectivités locales, l’organisme de gouvernance (→ proposition 15) et les structures agréées par le Gouvernement pour l’aide à l’installation (→ proposition 2).

Un tiers pourra se porter acquéreur s’il se présente en appui d’un.e agriculteur.rice prioritaire visé.e par la protection et s’engage à lui conférer un bail de longue durée (bail de carrière) ou un droit réel offrant une protection similaire voire supérieure (par exemple, un droit d’emphytéose de minimum 27 ans, qui protège l’agriculteur de la menace d’un congé qui pourrait être donné par l’acquéreur en cas de vente).

Activé par les collectivités publiques, le droit d’acquisition prioritaire visera les mêmes objectifs, avec deux optiques possibles : permettre un projet individuel ou rester à usage public. Dans la première optique, la terre soit sera revendue ultérieurement au bénéficiaire via une opération de portage ou de stockage*, soit elle sera concédée sous forme d’emphytéose ou de bail à ferme de longue durée. La terre acquise pour un usage public permettra une production maraîchère pour les cantines et cuisines collectives, la création d’un potager partagé, d’un lieu d’éducation à l’environnement et à l’agriculture, d’un espace-test, etc.

* Une opération de stockage sert à constituer une réserve foncière dans l’attente d’un projet et d’une revente futurs. Une opération de portage permet l’installation d’un.e jeune agriculteur.rice en postposant le coût d’acquisition de la terre : celle-ci est d’abord louée et sera revendue une fois que le plan financier le permet.

19. Mettre en place un mécanisme d’agrément des transferts de terres agricoles permettant leur non-validation pour des motifs d’intérêt général (R)

L’enregistrement des ventes – ou toute autre forme de transfert – de terres agricoles, permettant si nécessaire leur non-validation, constitue la 3e étape du processus garantissant que le marché acquisitif des terres agricoles serve l’intérêt général.

La validation des ventes des terres agricoles existe dans plusieurs pays de l’Union européenne et notamment en Allemagne (European Commision, Agriculture land market regulations in the EU Member States, 2021). Chaque vente de terre doit être enregistrée et approuvée par une autorité au niveau local et peut être refusée si elle aboutit à une distribution inéquitable des terres, n’apparaît pas économiquement viable ou révèle un déséquilibre entre le prix et la valeur du bien (de l’ordre de 20 à 50%).

L’Autriche connaît également un mécanisme de validation, confié à une commission de transfert des terres. Le transfert peut être refusé si la terre est vendue à un non-agriculteur alors qu’un agriculteur local était intéressé, si la cession n’a pas été annoncée publiquement, si l’objectif de la vente est un investissement capitalistique spéculatif, si le prix est déraisonnablement élevé par rapport au prix habituel, si la vente conduit à la formation ou à l’élargissement d’une grande propriété foncière, alors que des petites ou moyennes exploitations étaient intéressées d’acheter ou si la vente mène à un déséquilibre de la structure de propriété. S’agissant d’acquisitions par des non-résidents européens (personnes physiques et morales), le transfert n’est autorisé que si l’intérêt culturel, social ou économique le justifie et que l’intérêt public d’Etat n’est pas affecté.

La Pologne interdit quant à elle les ventes aboutissant à la constitution d’une superficie totale de plus de 300 hectares dans le chef d’un même exploitant. En Suède, l’acquisition de terres par des personnes morales est limitée dans certaines zones, cela afin de protéger l’accès à la terre des agriculteurs locaux. La vente peut être invalidée pour ce motif.

Un tel mécanisme de validation des transferts de terres serait indispensable en Belgique afin de garantir que l’intérêt général et la sécurité publique (la sécurité alimentaire) soient assurés, en s’inspirant des objectifs rencontrés par les États susvisés.

La vente (ou toute autre forme de transfert) serait communiquée à un service public (administration, organisme d’intérêt public ou commission ad hoc) chargé de valider la légalité des mutations.

La validation pourra être refusée dans un nombre circonscrit d’hypothèses :
a) si la notification de l’intention de cession et l’exercice du droit d’acquisition prioritaire n’ont pas été respectés ;
b) si le transfert de terres aboutit à la constitution d’une superficie agricole inéquitable dans le chef de l’exploitant ou du propriétaire par rapport aux autres agriculteur.rice.s, sauf si celui-ci poursuit une finalité désintéressée ou d’intérêt collectif ;
c) si la vente est manifestement spéculative ;
d) si l’intérêt général est sérieusement compromis ;
e) pour l’application du règlement UE n° 2019/452 du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union. Ce règlement requiert de filtrer, invalider ou annuler un investissement étranger susceptible de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public. L’approvisionnement en intrants essentiels, y compris l’énergie ou les matières premières, ainsi que la sécurité alimentaire, relèvent des domaines concernés. L’acquisition de terres agricole est donc nécessairement visée.

Un recours contre un refus de validation serait bien entendu organisé.


20. Maintenir le droit de préemption prévu par le Code wallon de l’agriculture, ainsi qu’en Région de Bruxelles-Capitale, en l’élargissant à toutes les zones, afin de réaliser des actions de portage et de stockage pour des projets ADN, avec faculté de révision du prix si celui-ci est spéculatif (R) 

En dernier ressort, le droit de préemption demeure une mesure indispensable pour préserver l’intérêt général et parvenir effectivement à garantir le droit d’accès à la terre. La seule perspective qu’une telle faculté pourrait être activée joue également naturellement un rôle dissuasif et régulateur. Dans la mesure où un droit d’acquisition prioritaire est mis en place, la préemption agira comme mécanisme de rattrapage pour des situations exceptionnelles. Le mécanisme permettra aussi de lutter contre des transactions spéculatives, aboutissant à une grave distorsion de l’équilibre du prix des terres pour un usage agricole.

Le Code wallon de l’agriculture prévoit bien un mécanisme de préemption dans le cadre de sa politique foncière agricole (art. D. 358) mais le réserve à la seule Région et à des hypothèses limitées. Les zones où il s’appliquerait devaient être préalablement fixées par le gouvernement. Il n’a jamais été activé.

L’objectif est de le revoir : la préemption sera possible pour permettre l’installation et le maintien de petites fermes durables et nourricières, pour des projets collectifs (→ propositions 25 et 28), ainsi que pour lutter contre la spéculation foncière. Il ne sera plus limité à des zones préalablement fixées par le Gouvernement mais applicable sur tout le territoire.

Le droit pourra être activé par l’organisme de gouvernance (→ proposition 15), les collectivités locales et les associations ayant pour objet social l’accès à la terre, reconnues par le gouvernement . A l’instar du droit d’acquisition prioritaire, il s’agira d’un droit cessible : ce sont les agriculteur.rice.s et/ou des projets collectifs citoyens (→ proposition 28) qui doivent être in fine les bénéficiaires des terres acquises.

L’organisme de gouvernance pourra préempter non seulement pour réaliser des opérations de portage et de stockage, mais aussi pour réguler la spéculation foncière : à cet effet, la préemption avec révision du prix sera instituée. Celle-ci existe en France : la SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) peut soit préempter aux conditions de la vente soit formuler une contre-offre d’un montant inférieur si le prix demandé est supérieur à la valeur du terrain. Plusieurs options sont dans ce cas ouvertes au vendeur : accepter l’offre, retirer le bien de la vente ou introduire un recours pour débattre du prix.

Une telle faculté de préemption pour lutter contre les prix abusifs est indispensable. A défaut, aucun moyen d’intervention n’existe. Le critère sera le prix moyen dans la zone déterminée par l’Observatoire du foncier agricole ou l’évaluation du Comité d’acquisition. La procédure sera assortie de toutes les garanties juridictionnelles : les parties auront la possibilité d’introduire un recours devant une juridiction administrative, puis éventuellement judiciaire.

21. Déployer une politique fiscale de soutien à la cession de terres pour des projets ADN et de lutte contre la spéculation foncière (F, R)

L’outil fiscal peut venir en appui d’une politique d’installation et de préservation des projets ADN, et permet de lutter contre la spéculation foncière.

Dans le premier cas, les incitants fiscaux (réduction ou exemption de droits d’enregistrement, de précompte immobilier ou obtention d’un crédit d’impôts) permettent de soutenir les cessions de terres en faveur des agriculteur.rice.s et modes d’exploitations à privilégier dans l’intérêt de la société (l’ADN). C’est notamment le cas de l’Espagne (European Commision, Agriculture land market regulations in the EU Member States, 2021), qui prévoit différentes exonérations de taxes en fonction du modèle agricole qui sera soutenu (haut taux d’emploi, durabilité, etc.).

Dans le second cas, la taxation des plus-values permet de limiter la spéculation sur les terres agricoles, en limitant ou en neutralisant l’effet d’aubaine d’une survalorisation du marché foncier sans rapport avec le prix auquel la terre a été au départ acquise et en décourageant les reventes de terres spéculatives.

En cas de revente d’un bien immobilier agricole en-deçà d’un certain délai et/ou en réalisant une plus-value excessive, une taxation spécifique est appliquée. Son produit alimentera le Fonds d’acquisition (→ proposition 22).

Un examen complet des outils fiscaux existants ou à mettre en œuvre doit être réalisé à brève échéance.

22. Créer un fonds d’acquisition et de gestion durable des terres agricoles dans le cadre d’un partenariat privé-public (R)

Le Code wallon de l’agriculture prévoit déjà l’existence d’un fonds budgétaire en vue de mener une politique foncière agricole (articles D. 360 et D. 361), qui n’a toutefois pas été activé ni utilisé. Celui-ci devait être alimenté par les recettes provenant des reventes et locations des biens immobiliers agricoles de la Région.

Il s’agit de conserver le principe d’un tel Fonds en le rendant effectif et opérationnel, et en l’organisant de manière plus large et dynamique.

Ce Fonds sera géré par l’organisme de gouvernance (→ proposition 15) et deviendra le levier financier d’acquisitions de terres pour l’ADN et l’agriculture biologique en Région wallonne.

Il sera alimenté par les recettes déjà prévues par le Code ainsi que par le produit de la politique de taxation des plus-values (en cas de revente de terres agricoles avec effet spéculatif → proposition 21). Il sera également alimenté par des fonds publics et privés dans le cadre d’un partenariat privé-public, afin de devenir un véritable fonds d’investissement. Les apports seront stimulés par la mise en place d’incitants fiscaux (portant sur des dons, legs ou d’autres formes de financement).

Le Fonds aura une vocation essentiellement acquisitive. Les actes d’acquisition des terres qu’il achètera incluront systématiquement des servitudes nourricières et environnementales, permettant de préserver leur vocation nourricière à long terme (capacité du sol à produire de l’alimentation). Les reventes éventuelles de biens acquis ne se feront que dans le but de leur transmission aux agriculteur.rice.s, intégreront des clauses anti-spéculatives et serviront à racheter d’autres terres.

Le Fonds pourra également prendre des terres en gestion. Lors de l’adoption du Code wallon de l’agriculture en 2014, il avait été imaginé que des propriétaires privés puissent désirer confier leurs terres à la gestion de la Région wallonne. Cette possibilité est restée théorique, d’autant que le dispositif légal (→ voir proposition 24) n’a pas vu le jour.

La constitution du fonds sur la base d’un partenariat privé-public devrait permettre de développer cette formule en la rendant pertinente et attractive. Le modèle des agences immobilières sociales (AIS), qui a largement fait ses preuves en matière de logement, pourrait être la référence : des biens privés sont confiés par des propriétaires aux AIS pour accueillir des locataires répondant aux conditions du logement social, moyennant une série d’avantages pour les propriétaires, lesquels sont désormais dispensés de la gestion et des risques locatifs.

De la même manière, le Fonds pourra recueillir la gestion à long terme de terres privées voire publiques afin de les mettre à disposition de projets d’installation et de l’ADN. Les propriétaires confiant leurs terres au fonds, en vue de ces objectifs d’intérêt général, n’auront plus à gérer leurs biens, conserveront une partie des rentrées financières et bénéficieront également d’une réduction substantielle du précompte immobilier.

Le bail à ferme (en cas de location) ou le droit d’emphytéose (en cas de constitution d’un droit réel) serviront de fondement des mises à disposition des terres par le Fonds.

La constitution d’un droit d’emphytéose aboutira à rendre les terres moins onéreuses qu’un achat. Cette solution permettra de démocratiser l’accès à la terre tout en garantissant des droits plus pérennes qu’une location. L’emphytéose a également un effet non spéculatif, puisque les terres acquises par le Fonds ne pourront être revendues, ou le seront à un prix juste. En cas de départ ou de fin d’activité de l’agriculteur.rice en cours de droit, celui.celle-ci ne pourra céder à son repreneur plus de droits que ceux qu’il.elle détient.

L’acte d’acquisition des terres par le Fonds inclura des servitudes nourricières et environnementales. Ces clauses seront donc établies de manière permanente au bénéfice du fonds (la terre) lui-même et ne dépendront pas de la volonté des parties (comme dans le cadre du bail). De cette manière, la garantie sera présente que les terres gérées par le Fonds le soient de manière durable et respectueuse de l’environnement et du vivant. La gestion du fonds sera tripartite (public/privé/citoyen) et intégrera les agriculteur.rice.s., afin notamment de développer les échanges et bonnes pratiques en matière d’agroécologie.