Droit à une alimentation saine

Mis à jour le 24 juillet 2023

Objectif : Reconnaître le droit à une alimentation saine, incluant le droit d’accès à la terre pour les agriculteur.rice.s et les communautés locales, en tant que droits humains fondamentaux

29. Consacrer le droit à une alimentation suffisante et saine à l’article 23 de la Constitution (F)

Garantir l’accès à la terre aux agriculteur.rice.s et aux communautés locales pour se nourrir (individuellement et collectivement) participe directement du Droit à l’alimentation. En effet, celui-ci est un droit global : permettre à chacun.e de se procurer une nourriture suffisante et adéquate inclut la disponibilité des ressources naturelles pour la produire (terres, eau, semences,…) et leur juste répartition au sein de la population. Une alimentation saine suppose aussi qu’elle soit exempte de substances toxiques, dont celles résultant de la contamination des terres et des procédés agricoles, tels les résidus de pesticides, d’hormones ou de médicaments vétérinaires (Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies, Le droit à une alimentation suffisante, fiche d’information n°34, 2010).

Par conséquent l’ADN est au cœur du droit à l’alimentation et une condition de sa réalisation.

Bien que le droit à une alimentation saine, suffisante et adéquate soit reconnu par différents textes internationaux (l’article 25 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme de 1948 et l’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966, seul le second texte présentant une effectivité juridique), il n’est toujours pas consacré dans notre Constitution !

Le droit de chacun.e de mener une vie conforme à la dignité humaine, affirmé par l’article 23 de la Constitution, comprenant notamment le droit au travail, à la sécurité sociale, à un logement décent, à la protection d’un environnement sain, à l’épanouissement culturel et social et aux prestations familiales – se doit d’inclure expressis verbis le droit à une alimentation saine et suffisante .

Ériger le droit à l’alimentation en principe constitutionnel sera un acte symboliquement fort et un projet fédérateur pour notre pays. Il fera naître une obligation supérieure d’agir dans le chef des pouvoirs publics, en mettant sur pied une véritable politique alimentaire, abordée dans toutes ses composantes d’accessibilité, de qualité, d’accès aux ressources,... Il amènera toutes les composantes du pays à se saisir de la question en portant le débat à l’échelon fédéral (en vue d’une modification de la Constitution). Enfin, il fera naître un droit subjectif invocable par les citoyen.ne.s, nécessitera des avancées législatives et interdira tout recul des droits. L’articulation entre agriculture, politique sociale, environnementale et santé publique, qui sont au cœur de la question alimentaire, se verra ainsi renforcée.

En intégrant la Constitution par le prisme du droit à une alimentation saine, l’agriculture nourricière et l’accès à la terre seront expressément reconnus au titre des droits économiques et sociaux, non plus traités comme de simples activités économiques ou capitalistiques. Cette reconnaissance entrera en congruence avec la revendication que l’alimentation soit traitée distinctement dans les règles commerciales qu’un bien sur un marché (→ proposition 32).

30. Approuver la Déclaration des Nations Unies du 17 décembre 2018 sur les droits des paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales (F, UE)

La Déclaration sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales est un texte essentiel adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 17 décembre 2018. Il affirme et regroupe pour la première fois dans un même texte l’entièreté des droits en jeu – régulièrement bafoués – au travers de l’activité paysanne. Le droit d’accès à la terre individuel et collectif y est expressément affirmé.

Le paysan y est défini comme toute personne qui mène ou cherche à mener, seule ou en association avec d’autres, ou au sein d’une communauté, une activité de production agricole à petite échelle, de subsistance ou destinée au marché, en s’appuyant largement mais non exclusivement sur la main d’œuvre familiale, et qui a un lien particulier de dépendance et de rattachement à la terre. Cette définition se rapproche étroitement de l’agriculture familiale à taille humaine que le Code wallon de l’agriculture déclare vouloir préserver mais qui, dans les faits, est aujourd’hui gravement menacée en Belgique et ailleurs.

La Déclaration invite les États à assurer aux paysans la jouissance, sans discrimination, de l’ensemble des droits humains et des libertés fondamentales, ce qui inclut un accès égal aux terres et aux ressources naturelles, et de pouvoir, sur un pied d’égalité, les utiliser et les gérer, en bénéficiant d’un traitement égal ou prioritaire dans le cadre des réformes foncières et agraires et des projets de réinstallation foncière. Les États sont aussi invités à prendre toutes mesures pour limiter la concentration et le contrôle excessifs de la terre eu égard à sa fonction sociale, ainsi que pour assurer la préservation et l’utilisation durable des terres et des autres ressources naturelles utilisées à des fins productives, notamment grâce à l’agroécologie.

Mises en parallèle avec la situation que nous connaissons dans notre pays, nous voyons que ces exhortations lui sont totalement applicables et que rien – ou si peu – n’est accompli en termes d’accès équitable à la terre et de gestion durable des ressources naturelles utilisées en agriculture. D’ailleurs, bien qu’adoptée par une majorité d’États au sein de l’Assemblée des Nations Unies, la plupart des pays de l’Union européenne, dont la Belgique, se sont abstenus de voter le texte.

Il est plus que temps de réparer cette erreur, qui constitue un très mauvais signal envoyé à notre société, trahissant les graves manquements – pouvant s’apparenter à un refus d’agir – en matière de législation foncière et de protection des droits fondamentaux des agriculteur.rice.s, qui nous concernent toutes et tous.

Nous demandons à la Belgique et à l’Union européenne d’adhérer à la Déclaration sur les droits des paysans des Nations Unies et d’attester dans la foulée des mesures qui seront prises – à l’échelle régionale et européenne – afin de garantir l’effectivité des droits fondamentaux que cette Déclaration formule.

31. Soutenir la proposition de directive portée par la Via Campesina pour une gouvernance foncière au service d’une agriculture familiale, durable et des populations locales dans l’Union européenne (UE)

Via Campesina est une importante confédération de syndicats et d’organisations paysannes luttant pour la souveraineté alimentaire, l’agroécologie et le respect des droits des paysans dans le monde. Sa coordination européenne, réunissant 31 organisations de 21 pays d’Europe, vient de remettre au Commissaire européen en charge de l’agriculture, au printemps 2023, sa proposition de directive européenne sur les terres agricoles (https://www.eurovia.org/fr/publications/proposition-de-directive-fonciere-europeenne/)

Via Campesina rappelle ce constat frappant : 3,1 % des fermes contrôlent 52,2 % des terres en Europe : l’Union européenne est en réalité au même niveau que le Brésil, la Colombie ou les Philippines, en termes d’inégalités dans l’utilisation des sols !

Il est par conséquent impératif d’agir en amenant l’Union européenne à adopter une directive qui restaurera davantage de démocratie et d’équité dans l’occupation des terres agricoles en Europe.

Cette proposition de directive repose sur quatre axes. Le premier concerne la lutte contre l’accaparement et la concentration des terres (superficie maximale de 500 hectares, création d’observatoires nationaux et d’un observatoire européen de la propriété foncière) ; le deuxième vise l’accès durable à la terre (régulation des droits d’utilisation et de transfert des terres, droit de préemption pour les jeunes, les nouveaux arrivants et les pratiques agroécologiques, encadrement des prix, établissement de diagnostics relatifs aux entraves à l’accès à la terre permettant de mettre en œuvre des législations et plans d’action appropriés, mécanismes visant à la division et à la redistribution des terres) : le troisième porte sur l’utilisation, la gestion et la protection des terres (inventaires de leur état, observatoire de la qualité et plans d’amélioration de la santé des sols, arrêt de l’imperméabilisation, limitation des cultures énergétiques, restauration des terres dégradées, transition vers des pratiques agroécologiques), le quatrième concerne les terres publiques et communautaires (inventaire des terres, respect des usages traditionnels, création de banques de terres publiques).
L’ensemble de ces mesures vise à concrétiser le droit à la terre comme droit humain. Cette proposition serait une transposition, à l’échelle de l’Union européenne, des Directives volontaires pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicables aux terres, aux pêches et aux forêts dans le contexte de la sécurité alimentaire nationale adoptées par le Comité de la sécurité alimentaire mondiale de l’ONU en 2012. La finalité des actions préconisées n’est pas de l’ordre de la simple gestion foncière, mais bien la réalisation des droits fondamentaux : dignité humaine, non-discrimination, équité et justice sont les principes justifiant que nos États et sociétés promeuvent des droits fonciers justes.

32. Obtenir que l’alimentation ne soit plus considérée comme une simple marchandise (« l’exception alimentaire ») dans les marchés publics, le droit de l’Union et les accords de libre-échange (R, F, UE)

Alors qu’il constitue un élément essentiel à la vie humaine au même titre que l’air et l’eau, justifiant que les peuples et les États s’assurent de leur disponibilité et de leur salubrité, l’aliment est considéré comme une simple marchandise dans le cadre du marché intérieur de l’Union européenne et de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC, où se négocient les accords de libre échange internationaux portant notamment sur les produits alimentaires et les matières premières agricoles). L’alimentation est entièrement soumise aux règles de libre circulation des marchandises, du droit de la concurrence et de la libre fixation des prix par le marché, faisant d’une part obstacle au prix juste, rémunérateur des agriculteur.rice.s, concourant d’autre part à la piètre qualité de ce que nous mangeons.

L’aliment est mis sur le même pied qu’un téléphone portable, du matériel de bureau, un produit d’entretien, un vêtement de travail, des jouets,... Il n’est pas considéré comme un bien de première nécessité et un droit fondamental, autorisant un régime spécifique en droit européen et dans les règles du commerce international, afin que chaque nation puisse préserver un certain degré de souveraineté alimentaire, privilégier des modes de production durables, maintenir ses agriculteur.rice.s, sauvegarder ses productions locales, etc. sans être sanctionnée ou que de telles réglementations lui soient interdites.

La législation européenne n’incite pas les personnes morales de droit public (administrations, écoles, crèches, hôpitaux,…) à soutenir l’ADN dans leurs marchés publics. Le principe de libre concurrence prime (le marché doit être ouvert à tout opérateur européen). Or, les acteurs publics ont un rôle fondamental à jouer pour dynamiser une agriculture durable, et nombreux sont désireux de le faire. Pour ce faire, ils doivent se fonder sur plusieurs critères, ce qui demande de la technicité et peut avoir un effet dissuasif.

Reconstruire des systèmes nourriciers durables repensés au niveau des territoires, qui préservent les écosystèmes (impliquant de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre liées au transport), les communautés locales et la santé de la population nécessite de sortir - tous ensemble – d’une logique libérale et mercantile, issue d’un temps révolu. Les crises que nous traversons en montre l’urgence.

Il s’impose que la spécificité alimentaire et agricole soit reconnue par l’Union européenne et l’OMC (à titre principal) pour garantir la souveraineté alimentaire et la durabilité de l’agriculture de chaque pays, en dérogeant à un principe absolu de libre échange.

Une voie privilégiée consiste à consacrer l’exception alimentaire, à l’instar de l’exception culturelle ayant permis que les biens et services culturels ne soient pas soumis aux mêmes règles de libre échange au sein de l’OMC, de même que la validation de mesures régionales de protection de la culture. L’exception alimentaire pourrait être consacrée au sein des Nations Unies (dans le cadre de la FAO) et/ou de l’OMC.

A l’échelon de l’Union européenne, la législation sur les marchés publics se doit également d’adopter des règles spécifiques pour soutenir une alimentation – et donc une agriculture – durable, qui ne sera plus considérée comme un bien ordinaire soumis à la concurrence mais comme un service d’intérêt économique général (au sens des articles 14 et 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union). Quel que soit le chemin adopté, nos collectivités ont à se montrer actrices de changement et réaliser sans plus attendre la transition agroécologique nécessaire (qui implique l’accès à la terre). Elles doivent être encouragées et soutenues.