L’accès à la terre est une question qui nous concerne tous.tes, et vite !
Comme l’a exprimé la Ministre Dalcq, derrière l’augmentation du prix des terres se cache une question encore plus importante : quelle est l’évolution du profil des acheteurs et quelle est leur intention ? Et qu’est-ce que cela dit de l’évolution de notre agriculture, de nos terres et de nos campagnes ? Autrement dit : de quelle agriculture voulons-nous ? Une agriculture de firme, qui va de pair avec accaparement des terres et concentration des choix de production alimentaire ? Ou une agriculture diversifiée, créatrice d’emplois et relocalisée ?
Ne pas agir privilégie la première option. Si nous visons la seconde, il va falloir agir vite. Considérant que plus de la moitié des agriculteurs ont 55 ans et que seul 20% d’entre eux ont un repreneur identifié, on peut se dire grosso modo que 40% des terres risquent de changer de mains dans les 10 prochaines années. La nouvelle législature qui s’entame est donc cruciale pour assurer un avenir à notre agriculture.
À qui profite la terre ? Manger des panneaux PV ou ou manger de la nourriture (et pas que des patates), il va falloir choisir !
L’accès à la terre se fait par l’achat ou par la location. La location de terres agricoles est bien encadrée par le décret sur le bail à ferme de 2019. Cette législation assure aux agriculteurs un accès à la terre stable et démocratique, dans la mesure où elle garantit une durée longue et un loyer modéré. Ce loyer est calculé chaque année en fonction notamment de l’évolution des revenus agricoles. Il avoisine en moyenne 200€/hectare/an.
L’achat de terres en revanche, n’est pas du tout régulé : n’importe qui peut acheter une terre agricole et à n’importe quel prix ! De surcroît, plus le prix d’achat des terres s’emballe, moins les acquéreurs seront enclins à louer les terres en bail à ferme vu le montant limité du loyer…Et ce n’est pas le montant du loyer qui doit augmenter, mais le revenu des agriculteurs sur lequel il se base…
Il y a dès lors de fortes raisons de s’inquiéter de la tendance qui se confirme d’année en année : plus de 30 % des surfaces sont acquises par des non-agriculteurs, parmi lesquels de plus en plus de sociétés non liées au secteur agricole. Ces sociétés contribuent à l’augmentation du prix de la terre parce qu’elles ont davantage les moyens d’acquérir, mais en plus, ces sociétés sont peu enclines à mettre leurs terres en bail à ferme, soit parce qu’elles les exploitent elles-mêmes, soit parce qu’elles les font gérer par des sociétés de gestion. Enfin, les incitants fiscaux prévus par notre législation pour soutenir le bail à ferme (réduction de droits de succession) ne concernent que les personnes physiques. il n’y a pas d’incitant pour les sociétés qui achètent les terres.
Sans parler du risque que des sociétés étrangères achètent nos précieuses terres nourricières.
Zoé Gallez, juriste et coordinatrice de Terre-en-vue : « Sous couvert de la liberté du marché, la Wallonie ne s’est jusqu’à présent dotée d’aucun moyen juridique pour empêcher de tels risques d’accaparement ! Le principe de liberté de marché n’empêche pas un certain encadrement des prix, d’autant plus face à des enjeux aussi cruciaux que l’avenir de notre agriculture et de notre souveraineté alimentaire. »
Calmer l’emballement du marché du foncier est possible. Cela relève de la volonté politique de soutenir les agriculteurs.trices.
Terre-en-vue appelle le Gouvernement à prendre rapidement des mesures pour encadrer le marché foncier et garder les terres aux mains de celles et ceux qui nous nourrissent !
Dans la Déclaration de Politique Régionale, le Gouvernement s’est engagé à « prendre des mesures concernant le prix du foncier au bénéfice des agriculteurs actifs afin de lutter contre toute forme de spéculation » et à « examiner tout mécanisme (préemption, forme innovante du droit de propriété, etc.) qui permet de protéger les terres ayant une fonction nourricière ».
Terre-en-vue encourage fortement le Gouvernement à activer rapidement ces mécanismes, car il est vraiment urgent de calmer le marché foncier. Plus on attend, plus il sera difficile et coûteux d’agir !
Zoé Gallez, juriste et coordinatrice de Terre-en-vue : « Pour ce faire, la Wallonie devrait se doter d’un droit de préemption avec révision du prix. La Wallonie pourrait ainsi imposer d’acquérir au prix du marché, plutôt qu’au prix du plus offrant. Selon les expériences des pays voisins, il suffirait d’agir sur 10% des ventes pour calmer le marché. On le sait, la simple existence de ce type de droit de préemption permet d’influencer les transactions. Ce principe existe déjà dans certaines zones en Wallonie. Il faut l’élargir à toute la Wallonie et se doter des moyens nécessaires pour pouvoir l’activer. Pour agir sur 10 % des ventes (438 hectares en 2023), au prix moyen de 39.000€ l’hectare, la Wallonie a besoin d’un budget de 17 millions d’euros. Ce n’est pas impossible, car il s’agit d’un budget d’investissement. Le droit de préemption pourrait d’ailleurs être couplé avec un mécanisme de portage foncier, qui permettrait à l’agriculteur-locataire de racheter la terre et à la Wallonie de récupérer son investissement. »
Pas de panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles sans régulation du marché !
La pression sur les terres agricoles est de plus en plus intense et l’on voit ces derniers jours combien les investisseurs en panneaux photovoltaïques sont actifs. Il va falloir choisir très rapidement : manger des panneaux ou de la nourriture !
Au vu de la complexité de la question foncière agricole, il va falloir agir avec un faisceau de mesures qui permettra de préserver nos terres nourricières. Il faudra continuer à protéger les terres publiques (10 % de la surface agricole) et en particulier de cette pression des panneaux photovoltaïques, à préserver la fonction nourricière de nos terres agricoles (toute utilisation concurrente a aussi un impact sur le prix), à soutenir les cahiers des charges alimentaires des collectivités en lien avec la production locale, à encourager la location des terres en bail à ferme et à soutenir la transmission des fermes. Mais le droit de préemption avec révision du prix est un outil indispensable à instaurer rapidement.
Terre-en-vue, plus que jamais sur le pont unissant citoyens et agriculteurs.trices !
En attendant, Terre-en-vue continuera de soutenir les agriculteurs et agricultrices qui font appel aux citoyens et citoyennes pour acquérir les terres qu’ils occupent quand une vente menace leur accès à la terre ou des terres sur lesquelles ils peuvent s’installer pour démarrer leur activité. Nous remercions vivement les 4.000 personnes qui nous ont déjà rejointes pour financer ces terres. Mais si le marché continue de s’emballer ainsi et que la Wallonie ne met pas en place des outils efficaces, même l’action citoyenne deviendra bientôt futile !
Plus que jamais cette législature est donc cruciale. Agissons dès maintenant ! Car dans 5 ans, le prix
des terres aura continué d’augmenter et l’affectation nourricière des terres aura diminué.



